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Accord de pêche UE-Royaume-Uni : quelles conséquences pour la pêche française ?
La pêche, compétence européenne
Le 31 décembre 2020 a été publié in extremis au Journal officiel de l’Union européenne un accord commercial et de coopération entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. Sa cinquième rubrique, relative à la pêche, était considérée comme l’un des sujets de tension entre les parties, eu égard à son caractère éminemment stratégique.
La souveraineté des États côtiers s’étend à la mer territoriale et à ses ressources, notamment halieutiques. La Convention de l’ONU sur le droit de la mer de 1982, signée et ratifiée par l’ensemble des États de l’Union européenne ainsi que par le Royaume-Uni, écarte l’activité de pêche des critères permettant aux navires étrangers de naviguer librement dans la mer territoriale d’un autre État, en vertu de la notion de passage inoffensif. En clair, l’activité de pêche est un axe essentiel de la souveraineté des États dans leur mer territoriale.
Dès lors, il semblait essentiel aux deux parties de convenir d’un accord en cette matière, permettant sur le papier la continuité d’une activité économique d’importance et qui fait vivre des milliers de gens.
Sorti de l’UE, le Royaume-Uni a repris le contrôle de ses eaux.
La France, deuxième flotte de pêche de l’UE derrière l’Espagne, a débarqué en 2017 pour une valeur d’environ 1,3 milliard d’euros de produits de la pêche. La même année, on estimait à 13 540 le nombre d’emplois effectifs de marins, pour 6 900 navires de pêche et 2 900 entreprises exploitantes, selon les chiffres du ministère de la Mer.
Sorti de l’UE, le Royaume-Uni a repris le contrôle de ses eaux. Il contrôle donc qui peut y entrer et y pêcher. En comparaison, le territoire maritime français est accessible pour tout navire immatriculé dans un État membre de l’UE.
La politique de la pêche est une compétence partagée de l’UE, en vertu de l’article 4 du TFUE. Cela signifie que les États membres n’ont que partiellement le contrôle sur un volet relevant pourtant de leur souveraineté territoriale. Il est explicitement mentionné que l’UE « définit et met en œuvre une politique commune de l’agriculture et de la pêche » (art. 38 TFUE), ce qui étend le domaine du marché intérieur à la pêche.
La France doit composer avec les 26 autres États membres de l’UE.
Pour les Britanniques, l’émancipation consécutive au Brexit implique un retour de la souveraineté dans le domaine commercial. Ainsi, s’agissant d’un accord de commerce, les Britanniques pourront à tout moment dénoncer cet accord.
En parallèle, la France n’est pas en mesure de renoncer aux accords commerciaux qui la lient avec le reste du monde : elle doit composer avec les vingt-six autres États membres de l’UE, qui ont des intérêts souvent contraires en la matière.
On comprend que dans ce duel, la France, tenue par ses engagements, part avec un handicap contre le Royaume-Uni.
Le Brexit change la donne
Quelles incidences aura cet accord pour les pêcheurs français qui exercent leur activité en tout ou partie dans les eaux britanniques ?
Conséquence immédiate de l’accord, l’UE et le Royaume-Uni devront mener des consultations pour déterminer comment seront exploités leurs stocks de poissons respectifs. En effet, le Royaume-Uni ayant retrouvé la plénitude de sa souveraineté sur ses eaux, il est nécessaire qu’un accord soit passé avec les États tiers – ou organisations représentant des États tiers dans le cas spécifique de l’UE – qui souhaitent y exploiter les ressources présentes pour que ceux-ci puissent le faire.
Lesdites consultations annuelles visent à convenir du total admissible des captures (TAC) qui sera applicable pour l’année suivante sur certains stocks. Ces TAC représentent les possibilités de pêche fixées pour des stocks de produits déterminés. Une fois ces TAC réparties, les pays membres de l’UE sauront quelle part des produits de la pêche présents dans les eaux britanniques leur reviennent, en vertu de la convention de libre-échange.
Une fois ces parts déterminées, les pays membres de l’UE se livreront une concurrence féroce, ce qui découle mécaniquement des grandes libertés de circulation garanties par les traités européens. Les pêcheurs français ne sont donc même pas assurés de réaliser les prises qu’ils peuvent espérer, et les années à venir verront encore le secteur se fragiliser, puisque chaque État membre cherche à favoriser sa pêche nationale.
Les navires de chacune des parties doivent pouvoir accéder sans restriction aux eaux territoriales de l’autre partie.
Un régime d’autorisation. En principe, chaque partie autorise les navires de l’autre partie à accéder à ses eaux pour pêcher. L’autorisation donnée aux navires français tient compte du respect de la réglementation britanniques par les navires de l’UE, lorsqu’ils pêchent en eaux britanniques. L’accès des navires français est donc conditionné au bon comportement des navires de l’ensemble des pays pêcheurs de l’UE, tandis que l’accès aux eaux françaises par les pêcheurs britanniques dépend uniquement du comportement des navires britanniques.
Enfin, les deux parties peuvent tenir compte des mesures de conditions d’accès spécifiques supplémentaires que prendrait l’autre partie : si l’UE venait à décider d’accroître les délais pour qu’un navire britannique puisse pénétrer dans les eaux françaises, alors les autorités britanniques peuvent en tenir compte dans l’évolution de leur propre réglementation.
L’accès aux eaux territoriales britanniques. Une période d’adaptation post-Brexit est prévue dans l’accord. Elle court du 1er janvier 2021 au 30 juin 2026. Pendant cette période transitoire, le principe est le suivant : les navires de chacune des parties doivent pouvoir accéder sans restriction aux eaux territoriales de l’autre partie. Ainsi, les pêcheurs français pourront accéder aux eaux territoriales britanniques durant cette période.
En exigeant des preuves solides, Londres ne fait qu’appliquer l’accord que les États membres de l’UE ont accepté.
Ce n’est qu’à partir du 1er janvier 2027 que les autorités britanniques ou l’UE pourront modifier les conditions d’accès des navires de l’autre partie dans ses eaux sans que cela emporte de conséquences juridiques.
C’est aujourd’hui ce qui est en jeu avec ces fameuses licences. En effet, pour en bénéficier, il est nécessaire que les autorités françaises prouvent que nos pêcheurs réalisaient une partie de leur exploitation dans les eaux britanniques avant le Brexit.
Problème : il faut le prouver. Or, les données les plus probantes sont celles issues de la géolocalisation, qui n’est obligatoire que pour les navires de plus de 12 mètres. Mais 80 % des navires de la flotte française sont inférieurs à cette taille, ce qui rend difficile sinon impossible la production de cette preuve pour la très grande majorité des pêcheurs français.
On comprend donc que le gouvernement réagisse en dénonçant l’attitude britannique, néanmoins, en exigeant des preuves solides, Londres ne fait qu’appliquer l’accord que les États membres de l’UE ont accepté, en l’instrumentalisant à son bénéfice.
Accord de pêche : trois enjeux différents
Les enjeux ne sont pas identiques selon les zones de pêche. On peut schématiquement les séparer en trois catégories.
L’accès à la zone économique exclusive (ZEE) britannique d’abord. Pour ce qui concerne l’exploitation des stocks dans sa ZEE, l’accord doit aboutir à un niveau proportionné aux parts des TAC respectives des parties. Une dérogation est prévue au sujet des stocks hors quotas, qui ne sont pas gérés au moyen des TAC : le niveau d’accès doit être au moins égal à la moyenne des captures par cette partie dans les eaux de l’autre au cours de la période 2012-2016.
Lorsque s’applique un TAC provisoire, les navires de l’UE auront accès aux ressources halieutiques dans les eaux britanniques, en proportion du pourcentage moyen des captures que les navires de l’UE ont réalisé dans les eaux britanniques au cours de la même période sur les trois années civiles précédentes.
Ce sont les eaux des îles Anglo-Normandes qui suscitent aujourd’hui les plus grandes tensions.
L’accès à la zone particulière des 6-12 milles britanniques ensuite. Cette zone de pêche est considérée comme la plus poissonneuse. C’était donc pour les pêcheurs français un point clé de l’accord. Pour ce secteur plus proche des eaux territoriales, l’accord prévoit une certaine continuité avec la situation antérieure au Brexit. Ainsi pourra accéder aux 6-12 milles britanniques tout navire de l’UE qui a pêché dans ladite zone pendant quatre ans entre 2012 et 2016, ou leur remplaçant direct (d’où les fameuses licences). Les pêcheurs français qui ont exercé leur activité de pêche dans cette zone britannique les années précédentes pourront continuer à bénéficier de l’accès à cette zone, au moins pendant la période d’adaptation, jusqu’en 2027.
L’accès aux eaux des îles Anglo-Normandes enfin. L’autorisation aux eaux des baillages de Guernesey et de Jersey dépend de l’ampleur et de la nature réelle de l’activité de pêche par les navires éligibles dans ces eaux. En vertu de l’accord sont éligibles les navires français ayant pêché dans la mer territoriale adjacente à ces îles pendant plus de dix jours au cours de l’une des trois années entre le 1er février 2017 et le 31 janvier 2020 (les licences reviennent encore une fois).
Ce sont les eaux des îles Anglo-Normandes qui suscitent aujourd’hui les plus grandes tensions.
Les navires britanniques devront également présenter un certificat de capture, validé par les autorités britanniques.
Quid de l’incidence de l’accord sur les débarquements britanniques dans les ports français ? La France va faire respecter un délai de notification à l’égard des produits de la pêche capturés par des navires britanniques immatriculés à Guernesey ou Jersey, et pêchés dans la mer territoriale de ces îles, ou française. Les autorités françaises délivreront une autorisation de débarquer dans l’un de ses ports désignés.
De surcroît, les navires britanniques devront également présenter un certificat de capture, validé par les autorités britanniques, pour l’acheminement direct par la mer de lots de produits de la pêche, entre une et trois heures avant l’heure estimée d’arrivée dans un lieu de débarquement français.
La rentabilité des pêcheurs français est mise en péril
En conclusion, si l’accord de pêche entre l’UE et le Royaume-Uni semble préserver temporairement les intérêts des pêcheurs français, il convient de préciser que cette apparente sauvegarde n’est assurée que d’ici au 31 décembre 2026. En outre, le ministère de la Mer assure que les États membres ont concédé une réduction de 25 % en valeur des quotas auparavant pêchés dans les eaux britanniques. Ces transferts de quotas, progressifs, réduisent ainsi d’un quart la valeur des ressources que pourront prélever les navires européens. Les pêcheurs français restent en concurrence avec des pêcheurs de toute l’UE, qui connaissent des exigences normatives moindre en ce qui regarde le droit du travail, la protection sociale, le salaire minimum.
Alors que les charges fixes pesant sur nos pêcheurs ne devraient pas diminuer, la réduction drastique des quotas, bien que moindre qu’espérée par les Britanniques, soumettra les navires français à une concurrence plus rude avec les pêcheurs espagnols et danois, qui devancent la France en prélèvements globaux. La rentabilité des pêcheurs français est mise en péril : les eaux françaises sont ouvertes à tous les pêcheurs européens, tandis que les eaux britanniques réduisent l’activité potentielle de nos pêcheurs. L’accord, pourtant présenté comme une victoire de l’UE, porte en fin de compte un véritable coup à la filière française de la pêche.
Killian SCHWAB
Commission Institutions et Médias