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Les espaces maritimes d’outre-mer : une chance pour la France
L’outre-mer français handicapé par les contradictions de l’UE
S’il est un secteur qui souffre des « travers » de la réglementation européenne, c’est celui des pêches maritimes dans les eaux françaises, sujettes à la politique commune des pêches (PCP). Pourquoi ? Face à la surexploitation des ressources halieutiques des mers et océans qui ceinturent l’Union européenne, une réglementation très stricte en matière de capture a été mise en place dans le cadre de cette politique.
L’application de cette réglementation a conduit la France à réduire de manière drastique ses capacités de pêche (navires et engins de capture). Cela a jadis amené notre ministère de la Mer, grâce à une aide substantielle de l’Union européenne, à subventionner de nombreuses entreprises de pêche en contrepartie de la destruction de leurs navires de pêche ! Au nom de la PCP, la France d’outre-mer a dû également freiner progressivement ses capacités de pêche.
Il existe une contradiction importante entre les politiques intérieure et extérieure de l’UE.
Mais, de manière plus générale, il faut savoir que le contexte de pénurie qui prévaut en Europe n’a rien de comparable avec celui de l’outre-mer français, qui est pourtant contraint de se plier aux restrictions imposées par la PCP. À titre d’illustration, les îles françaises qui se trouvent à proximité de la zone poissonneuse du canal du Mozambique (Mayotte et les îles Éparses, qui couvrent 650 000 km² de notre ZEE) restent malheureusement soumises à ces directives alors même qu’une pêcherie responsable et raisonnée, parfaitement adaptée aux stocks existants, pourrait se développer à partir de ces territoires.
En outre, il existe une contradiction importante entre les politiques intérieure et extérieure de l’UE. Sur le plan intérieur, nous pouvons souligner que la réglementation européenne frappe La Réunion dans son environnement océanique. En effet, en raison de son statut de « région ultrapériphérique européenne », l’île est tenue de diminuer ses capacités de pêche au motif de la situation de surpêche existante dans l’espace maritime de l’Europe continentale, alors même que la pêcherie réunionnaise ne représente que 0,21 % de l’ensemble des captures opérées dans l’océan Indien !
La France d’outre-mer est l’otage d’une Europe de la pénurie.
Dans le même temps, au titre de sa politique extérieure, l’UE négocie et autorise les navires industriels européens (Espagne et France) à pêcher dans l’océan Indien avec des techniques de pêche ne respectant pas strictement les directives de la PCP en matière de pêche durable, puisque ces navires utilisent des engins de capture non autorisés, comme les dispositifs concentrateurs de poissons dérivants, et de surcroît ne respectent pas scrupuleusement les limitations de captures préconisées par la Commission des thons de l’océan Indien, commission internationale de surveillance de l’état des stocks de ressources pélagiques.
Comment admettre qu’une réglementation de gestion de pénurie, se basant sur notre seul espace
maritime continental de 300 000 km², puisse régir les 11 millions de km² de notre ZEE totale située majoritairement outre-mer, où les contextes de ressources halieutiques sont si différents et spécifiques ? La France d’après ne peut plus rester l’otage d’une Europe de la pénurie.
Plus globalement, compte tenu des nombreuses richesses que ses espaces maritimes ultramarins recèlent, force est d’admettre que la France d’après ne devra plus accepter que son développement soit asphyxié par l’Union européenne !
Les aides européennes vont à rebours de la politique de sauvegarde des océans.
L’Europe des contradictions ne frappe hélas pas que le secteur de la pêche. On peut citer aussi par exemple les aides européennes qui subventionnent l’agriculture intensive (notamment celle de la canne à sucre dans les départements d’outre-mer), qui n’est financièrement viable que grâce à l’utilisation d’engrais de synthèse. Étant donné que, d’une manière générale, 80 % des pollutions des océans proviennent des espaces terrestres, nous avons ici encore l’illustration que les aides européennes vont à rebours de la politique de sauvegarde des océans et de leurs richesses.
Par ailleurs, on peut également constater que le modèle d’agriculture intensive subventionné par l’Union européenne est frontalement opposé à celui des circuits courts de commercialisation des productions et plus globalement au concept d’économie circulaire.
Les limites de l’exploitation des ressources halieutiques
Toutefois, il faut insister tout particulièrement sur le fait que les enjeux de développement pour la France d’après sont davantage liés aux divers gisements de richesses que recèle le milieu marin des ZEE françaises qu’aux relatives « miettes » de ressources halieutiques dont elles disposent encore et qui, inéluctablement, fondent comme neige au soleil.
Pourquoi ? Nous savons tous maintenant que les stocks halieutiques mondiaux, notamment ceux des espèces pélagiques (thons et poissons à rostre), principales cibles des flottilles de pêche industrielle, sont en voie d’épuisement pour la raison qu’aucun pays pêcheur, y compris la France, ne respecte strictement cette ressource. Chacun agit, hélas, selon sa propre logique de capture. J’en veux pour preuve la mise sous quotas des pêcheries pélagiques des océans Pacifique et Atlantique.
La bataille fait rage entre les flottes européennes et les autres.
L’océan Indien ne fait pas encore l’objet de quotas, mais cela ne saurait tarder si les pressions de pêche étaient maintenues. La bataille fait rage en effet entre les flottes européennes (plutôt de pêche à la senne) et celles des pays tiers (plutôt de pêche palangrière), et les ressources s’épuisent à une vitesse considérable. Les Européens affichent leur volonté de protéger leurs ressources riveraines, mais ils n’ont pas le même langage dès qu’il s’agit de piller les ressources du canal du Mozambique !
Les Asiatiques accusent, eux, les Européens de prendre dans leurs sennes (gigantesques filets) des pélagiques non matures. En réponse, les Européens les accusent de capturer les oiseaux de mer avec leurs palangres ! Quand on sait qu’un seul passage de senne d’un navire industriel capture l’équivalent du volume total annuel de la pêche côtière réunionnaise, soit 500 tonnes, on est en droit de se demander combien de temps encore un tel rythme peut tenir.
Chercher à prélever davantage de poissons dans les océans est un combat d’arrière-garde.
D’ailleurs, face à l’exploitation non raisonnée de tous les océans, confirmée sur le plan scientifique par l’effondrement des stocks de nombreuses espèces, il n’est pas absurde d’affirmer que la consommation mondiale de poisson sera dans un proche avenir davantage satisfaite par l’aquaculture que par les pêches maritimes. En conséquence, chercher à prélever davantage de ressources halieutiques dans les océans est maintenant devenu un combat d’arrière-garde, que nous soyons résidents de l’Hexagone ou de l’Outre-mer !
Aussi, la chance que l’Outre-mer offre à la nation toute entière réside moins dans ses ressources halieutiques que dans les autres fantastiques richesses que nos océans recèlent. Mais encore faut-il refondre totalement notre vision de l’Outre‑mer et la stratégie de développement maritime que nous pouvons fonder à partir de lui.
La mer, espace de souveraineté et de richesses pour la France
La carte ci-dessous donne un aperçu de la répartition des précieux gisements d’hydrocarbures et de minéraux de la zone maritime du sud de l’océan Indien. On voit que ces richesses, pour beaucoup d’entre elles, se trouvent dans la ZEE française. Elles sont fondamentales pour le développement industriel de la France.
Il s’agit en premier lieu des immenses gisements sous-marins de nodules polymétalliques. Les nodules polymétalliques sont des concrétions rocheuses de 5 à 10 cm de diamètre reposant sur les fonds océaniques. Ils sont composés principalement de manganèse, nickel, cuivre, cobalt, fer… autant d’éléments indispensables aux industries de pointe comme celles de l’aéronautique et de l’électronique.
Certes, leur coût d’extraction est encore un facteur dissuasif pour le lancement d’industries de transformation, mais la situation d’oligopole où se trouvent des pays comme la Chine, déjà impliqués dans l’exploitation des terres rares, laisse présager à terme une envolée des prix de ces minerais dont les industries de pointe ont grand besoin. Cette envolée des prix serait dans un horizon plus ou moins lointain de nature à améliorer la rentabilité de l’exploitation de nos ressources minières sous-marines.
Les prairies d’algues marines possèdent un très fort potentiel.
Mais deux autres potentielles rentes devraient pouvoir abonder ce fonds souverain. Il s’agit tout d’abord des gisements d’hydrocarbures prometteurs du canal du Mozambique, autour des îles Juan de Nova et Europa (district des îles Éparses françaises) et autour du département de Mayotte, dans l’archipel des Comores. Ces gisements seraient aussi volumineux que ceux du Golfe ou de la mer du Nord !
La seconde est plus inattendue, mais possède un très fort potentiel. Ce sont les vastes prairies d’algues marines, certaines à croissance rapide, que possède la France dans ses Terres australes et antarctiques (autour des îles subantarctiques des Kerguelen, Crozet, Saint-Paul et Amsterdam), qui couvrent également une immense ZEE (1,6 million de km²). Il faut savoir que, en matière d’algues marines, le nombre total des espèces est estimé à un million et que seulement une dizaine est actuellement commercialisée. Ces algues offrent également la possibilité de contribuer au développement de l’économie circulaire, en permettant de produire des hydrocarbures à partir de sources de carbone issues d’activités industrielles existantes (bioremédiation).
Un fonds souverain pour une nouvelle stratégie de développement.
Le fonds souverain pourrait participer au financement de toutes les études en recherche et développement qui visent à les identifier. Les multiples applications que pourraient offrir ces algues dans l’alimentation, la médecine, la cosmétique, la chimie ou encore l’agriculture en font une richesse au bénéfice de la communauté mondiale, mais à exploiter de manière raisonnée dans le strict respect de l’environnement.
La création d’un fonds souverain a été évoquée lors du direct du 5 avril dernier. Grâce à des financements appropriés, il accompagnerait la nouvelle stratégie d’organisation et de développement de la France d’après. À ce propos, le fonds souverain de la Norvège, garanti par la rente que procure l’exploitation de ses importants gisements d’énergies fossiles, a été cité en exemple. Toutefois, même si la France ne possède pas encore une telle rente immédiate, les richesses qui entourent nos territoires ultramarins pourraient aisément rivaliser avec celles de la Norvège et constituer à moyen et long terme de solides contreparties ou garanties à la création d’un fonds souverain français particulièrement fécond.
Organisation et gestion du fonds souverain
Tout en faisant miennes les orientations d’utilisation du fonds souverain judicieusement développées par Pierre-Yves Rougeyron et Charles-Henri Gallois, à savoir notamment l’impérieuse nécessité de réinvestir le régalien, de retravailler la cohérence territoriale de l’économie et de réindustrialiser le pays, il me paraît intéressant que ce fonds puisse accompagner financièrement les projets d’entreprises pour la « Super France des solutions », tel que cela a été évoqué par Idriss Aberkane.
À ce titre, une section du fonds souverain ferait office de « boîte à outils financiers » en deux volets. L’un pour créer les conditions favorables à la relance de la France d’après, l’autre pour accompagner les créateurs de solutions dans la mise en œuvre de leur projet. Cette section aurait trois objectifs.
1. Soutenir la recherche de solutions aux difficultés de développement qui nous préoccupent (recherche fondamentale, recherches appliquées, études…).
Le fonds préconisé serait un réel fonds de garantie directe.
2. Garantir, grâce à un fonds dédié, les concours financiers que les entreprises seraient amenées à solliciter de leur banquier. Toutefois, contrairement à la pratique courante trop dévoyée qui fait que les nombreux fonds existants sont plutôt des fonds de « contre-garantie » qui poussent l’organisme prêteur à conditionner ses concours par d’autres sûretés (hypothèques, cautions multiples et variées…), le fonds préconisé serait un réel fonds de garantie directe. Cette section serait la plus dotée financièrement, car nous savons tous qu’un fonds apporté en garantie permet de sécuriser un encours financier global pouvant, selon la nature du risque concerné, aller jusqu’à plusieurs fois la valeur du fonds. Autrement dit : moins le risque est élevé, plus l’encours bancaire est grand. Et inversement lorsque le risque est plus élevé.
3. Octroyer des aides directes (subventions, prises de participation…) aux entreprises en création ou en développement. Toutefois, la démarche qualité normative devra, autant que faire se peut, être privilégiée pour toute entreprise sollicitant le bénéfice de ces aides.
Pour les trois sections évoquées ci-dessus, le fonds serait géré par un organisme à caractère partenarial associant étroitement à ses décisions les avis des « comités d’action entrepreneuriale » pour chaque territoire concerné.
Vers une République maritime
Forte de la valeur inestimable de ses espaces maritimes, la France d’après se doit de les intégrer à ses stratégies de coopération mondiale tout en accompagnant le développement des pays qui feraient appel à son aide, notamment ceux avec qui elle partage des frontières maritimes.
Enfin, la gouvernance d’une République maritime ne peut pas s’envisager uniquement à partir de l’Hexagone. La France d’après devra également réinvestir ses territoires d’outre-mer. Dans un souci de cohérence, il serait judicieux de regrouper en un seul ministère les services de la Mer, des Outre‑mer ainsi que ceux des Affaires étrangères et de le rattacher directement au Premier ministre, avec une antenne délocalisée dans chacun des territoires d’outre-mer. Ces antennes auraient à leur tête un véritable ambassadeur des océans.
André JATOB
Ancien directeur territorial,
ancien directeur des pêches
au conseil régional de La Réunion
Ce billet personnel se veut un approfondissement de certaines des « Propositions pour la France d’après » avancées par Idriss Aberkane, Charles-Henri Gallois et Pierre-Yves Rougeyron lors du direct du 5 avril 2020 sur la chaîne Youtube d’Idriss Aberkane. Il n’expose pas nécessairement la position de Génération Frexit sur tous les aspects qu’il détaille.