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« Réarmement agricole » de la France ?
Abattons d’abord les vieux principes européens !
Pour quiconque connaît un tant soit peu le monde agricole, l’éclatement de colère que nous constatons aujourd’hui est loin d’être une surprise tant les fondamentaux du secteur vont de mal en pis depuis bientôt vingt ans. Et, pour dire la vérité, aucun espoir de changement ne se profile tant que nous resterons enfermés dans les mêmes schémas de pensée. Mais plutôt que de se lamenter sur ce qui est, commençons par examiner les revendications des agriculteurs. Nous exposerons ensuite pourquoi nous en sommes ici et nous proposerons enfin des solutions de long terme.
Des revendications de bon sens
Nous n’allons pas lister ici les 120 revendications émises par les syndicats agricoles, du moins deux d’entre eux. Nous pourrions aussi bien les résumer en une phrase : les producteurs veulent une meilleure qualité de vie. Cela signifie de meilleurs revenus, bien sûr, mais pas seulement. Cela veut aussi dire moins de contraintes administratives kafkaïenne et plus de sécurité face aux aléas de toute sorte. Bref ils souhaitent que l’État fasse son travail et garantisse l’avenir de ses concitoyens.
Énoncé comme cela, nous nous rendons compte que le constat fait par les producteurs n’est en fait pas spécifique à leur profession. Et pour cause : les forces à l’œuvre contre l’agriculture sont les mêmes qui agissent contre les autres secteurs de l’économie. Déprise énergétique et incompétence de nos politiques obligent, le déclassement généralisé des Français se décline en réalité dans toutes les strates de la société. C’est pourquoi nous pouvons tous nous retrouver dans cette lutte, que l’on soit Gilet jaune, classe moyenne en perdition ou même cadre dirigeant ne supportant plus de voir son outil industriel vendu à la découpe. Tout le monde se sent concerné, à l’exception de nos oligarques bien entendu, car pour eux tout va bien, merci.
Les causes profondes du problème
Si nous reprenons les trois grand volets de revendications : revenu, simplicité administrative et sécurité, tout pointe vers le même responsable : la PAC (politique agricole commune) et donc l’Union européenne, leur œuvre étant parfaitement secondée par notre gouvernement, il faut le dire. En effet, l’UE poursuit deux objectifs complètement opposés : libéraliser les marchés agricoles pour les ouvrir à la concurrence internationale et, en parallèle, garantir que les productions européennes suivent des cahiers des charges exigeants en matières environnementale comme sociétale.
Nos producteurs sont donc enserrés dans un corset d’injonctions contradictoires puisqu’on leur intime de lutter sur un marché international, donc de baisser au maximum les coûts de production, et dans le même temps d’atteindre un mieux-disant sur la qualité de leurs produits, donc d’augmenter leurs coûts. Le tout dans un contexte de décroissance énergétique et de contrainte carbone forte. La bataille est perdue d’avance.
Que tout le monde mange à sa faim ne fait pas partie de l’équation européenne.
L’UE a d’ailleurs très bien compris le problème puisqu’elle pousse les producteurs, à travers son Pacte vert (European Green Deal), à se spécialiser sur des marchés censés s’extraire de cette concurrence effrénée (bio, label, IGP…), sans imaginer qu’il n’y aura vraisemblablement pas de place pour tout le monde dans cette stratégie ni même que cela amoindrira fortement notre autonomie alimentaire. Là n’est pas son problème, l’UE n’a qu’un dogme : des Airbus et des Mercedes contre des poulets et des légumes. Voilà sa vision du monde. Que tout le monde mange à sa faim ne fait pas partie de l’équation.
Cependant, la guerre n’est pas perdue. Il est encore temps de redresser la France, grande puissance agricole, et de la réarmer en effet sur les marchés alimentaires. Bien sûr, pour cela il faut bien comprendre comment fonctionnent ces marchés et surtout vouloir positionner la production alimentaire comme la base de toute richesse des nations, juste avant l’industrie et bien avant les services (n’en déplaise aux banquiers reconvertis en hommes politiques). Cela veut dire être prêt à conserver une agriculture à productivité élevée (par hectare comme par unité de travail) et donc lui attribuer les ressources stratégiques dont elle a besoin tant au niveau énergétique qu’au niveau minéral. En revanche, il est vrai que l’objectif de production totale (la quantité totale de denrées produite par nos agriculteurs) peut être discutée pourvu qu’elle couvre au moins les besoins de tous les Français.
Reprendre le contrôle de notre politique agricole
Une fois identifiée la source des difficultés, il ne reste qu’à exposer les solutions que nous proposons pour les résoudre. Concernant les revenus d’abord : le choix a été fait de subventionner massivement le prix des denrées alimentaires à travers la PAC. C’est-à-dire qu’aujourd’hui une part non négligeable des productions agricoles est en fait payée par le contribuable et non par le consommateur. Et ceci malgré une agriculture devenue extrêmement productive grâce aux ressources énergétiques et minérales qui lui ont été jusqu’à maintenant allouées.
Ainsi entre 2010 et 2019 les aides PAC directes représentaient 77 % du résultat courant des exploitations avant impôts, soit 15 400 euros par UTA (unité de travail annuel, soit un temps plein sur l’exploitation agricole) selon une étude de l’INRAE. Quand on sait que le salaire moyen dans une exploitation varie entre 680 et 2 800 euros nets (en fonction du type d’exploitation) on comprend immédiatement que désormais les agriculteurs sont devenus une sorte de sous-fonctionnaires avec tous les inconvénients du statut de fonctionnaire mais sans les avantages. Ils sont en fait payés par nos impôts et non plus par la vente de leur production.
Ne pas laisser le marché agir à sa guise, piloter la production, maîtriser les importations.
Pour inverser cette tendance il faudrait dans un premier temps que les prix de vente des produits agricoles leur permettent de se rémunérer correctement, ce qui nous autoriserait alors, éventuellement, à supprimer les subventions aux agriculteurs. Mais, pour augmenter les prix, encore faut-il que les producteurs se retrouvent en position de force face aux acheteurs, particulièrement les grandes et moyennes surfaces (GMS). Or, sur un marché agricole, seule la maîtrise des volumes produits et importés permet de mettre la pression sur les acheteurs. En effet les produits alimentaires sont de gros pourvoyeurs de marges aux GMS (un œuf bio, par exemple, est acheté 15 centimes au producteur puis revendu environ 60 centimes en magasin, un litre de lait acheté 40 centimes est revendu quant à lui entre 80 centimes et 1,40 euro).
Ce sont, en outre, des marchés particulièrement inélastiques. Donc si les volumes disponibles (production et importations comprises) correspondent juste à la demande, sans excédents, le prix sera naturellement fixé par le producteur et non par l’acheteur. Mais cela implique de ne pas laisser le marché agir à sa guise, de piloter la production, de maîtriser les importations, or ces deux leviers entrent en confrontation avec les traités de l’UE (voire avec sa philosophie profonde). Reprendre le contrôle de notre politique nationale est le point de départ de tout redressement agricole.
Se soumettre aux normes est toujours plus facile lorsque vous avez les moyens humains et financiers de le faire.
Concernant les exigences normatives et la complexité administrative, l’UE prend le problème à l’envers. Elle fixe des contraintes fortes qui conduisent inévitablement à la baisse des rendements (par UTA et par hectare) et à la hausse des coûts. En espérant ensuite que le marché acceptera de payer ces surcoûts. Comment cela pourrait-il être possible dans un marché ouvert à toutes les importations ? C’est en fait l’inverse qu’il faut faire : d’abord faire monter le prix du marché (au moyen, toujours, d’une maîtrise des volumes) et ensuite exiger que ces marges meilleures servent améliorer la qualité des produits, que ce soit sur un plan environnemental ou sur d’autres plans. Car se soumettre à un flot de normes est toujours plus facile lorsque vous avez les moyens humains et financiers de le faire.
En outre, pour éviter la complexité administrative, la solution est la même que dans tous les autres secteurs d’activités : se débarrasser du mille-feuille administratif actuel en regroupant les différents centres de décisions à un même échelon. Cela pourrait être par exemple les chambres d’agriculture, qui ont vu leurs prérogatives être rognées petit à petit et qui pourraient retrouver ainsi un nouveau souffle.
Un peuple qui mange à sa faim et qui soigne ses malades a tout ce qu’il faut pour être heureux.
Dernier point : celui de la sûreté, et l’assurance face aux aléas climatiques. Il est difficile de donner ici des propositions concrètes tant les cas sont variés et n’appellent pas tous la même réponse. Mais une chose est sûre : dans un monde à + 2 °C les facteurs extrêmes (sécheresses, grêle, averses violentes…) vont se multiplier, et le passage du pic pétrolier va rendre encore plus difficile notre adaptation. Il faudra alors bien qu’une part plus grande de la richesse nationale serve à garantir ces risques car l’alimentation est la priorité. Autant être clair et franc dès maintenant avec nos concitoyens.
L’agriculture doit être sanctuarisée ! Un peuple qui mange à sa faim et qui soigne ses malades a tout ce qu’il faut pour être heureux. Avec nos 638 000 km² et nos 29 millions d’hectares de surface agricole utile, nous avons de quoi être sereins quant à notre indépendance alimentaire, même dans un contexte de contraction énergétique. Nous pouvons aussi envisager d’alimenter certains pays structurellement limités en surface agricole et nous servir de notre agriculture comme d’un puissant vecteur d’influence au service de la France. Espérons que ce soulèvement ouvrira les yeux de nos politiques et qu’ils comprendront alors que la vision qui prévaut dans l’UE nous affamera tous.
Firass YASSIN
Responsable Agriculture et Alimentation