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Pour notre pouvoir d’achat, en finir avec le marché européen de l’électricité ?
LE JOURNAL les Échos vient de titrer : « L’Espagne et le Portugal décrochent du marché européen de l’électricité ». Ces deux pays très durement touchés par la flambée récente des prix de l’électricité ont bien compris la principale source du problème : l’Union européenne. Dans sa grande bonté, la Commission européenne a exceptionnellement autorisé ce nouveau système, prétextant un manque d’interconnexions vers la France et le reste du réseau européen, ce qui empêcherait selon elle la péninsule Ibérique de bénéficier de l’énergie renouvelable, notamment éolienne, du nord de l’Europe. Cet argument est étonnant quand on sait que l’Espagne et le Portugal sont respectivement les 3e et 4e producteurs d’électricité éolienne du réseau européen en question et que l’Espagne est de loin le premier producteur d’électricité solaire (photovoltaïque et thermodynamique). Le problème ne viendrait donc pas de l’accès à l’électricité éolienne ni solaire ?
Nous nous permettrons de proposer une explication plus cohérente.
Depuis la fin des années 1990, la construction d’un marché unique européen de l’électricité se met en place à coup de libéralisation du secteur, de mise en concurrence artificielle et de financiarisation. Vient alors la création du marché européen de l’électricité, divisé en deux : un marché spot pour les achats du jour au lendemain réalisés par les fournisseurs pour servir leurs clients sous contrat ; et un marché à terme pour fixer le prix de l’électricité prévue pour une livraison dans 12, 24 ou 36 mois, qui sert à négocier les contrats d’achat des entreprises.
Ce mode de calcul ne prend absolument pas en considération les contraintes physiques intrinsèques à l’équilibrage du réseau électrique entre la production et la consommation.
Sur le marché spot, le calcul du prix [1] du mégawattheure suit les bonnes règles économiques qui veulent que celui-ci dépende du coût marginal de production de la dernière unité de production d’électricité appelée par le gestionnaire de réseau. Mais comme sur le marché à terme les prix doivent théoriquement tendre vers les prix spot, le problème n’est donc que lissé et décalé.
Cependant, ce brillant mode de calcul ne prend absolument pas en considération les contraintes physiques intrinsèques à l’équilibrage du réseau électrique entre la production et la consommation à chaque instant. En effet, tous les modes de production ne sont pas physiquement égaux pour permettre cet équilibrage ! Certains, comme l’éolien et le photovoltaïque, sont dépendants de l’environnement extérieur, et parfois très fluctuants. D’autres, comme le nucléaire, sont pilotables, mais l’électricité produite est d’autant moins chère que la centrale fonctionne au plus à pleine puissance. D’autres encore, comme le gaz, le charbon ou même le fuel, sont très flexibles et peuvent démarrer et s’arrêter très rapidement pour satisfaire des pics de consommation ou compenser des chutes brutales de production.
Ces caractéristiques, spécifiques à chaque mode de production d’électricité, font que tel ou tel d’entre eux seront appelés de préférence et en priorité par le gestionnaire de réseau à produire de l’électricité en fonction de la demande, indépendamment de leur coût marginal de production ! Cependant, avec l’augmentation de la part des énergies éoliennes et photovoltaïques dans le mix de production d’électricité du réseau européen et le sous-investissement général dans les modes de production pilotables [2], on en arrive à ce que, une bonne partie du temps, les dernières unités de production d’électricité soient des centrales à gaz… Une petite flambée des prix du gaz et du prix du CO2 plus tard, et on arrive à des explosions des prix de gros de l’électricité, alors que le gaz fournit moins de 10 % de l’électricité que l’on consomme en France.
Si, pour notre production nationale excédentaire, nous décidions de calculer le prix spot de l’électricité sur la base d’une estimation des coûts de production complet de chaque mode en garantissant 10 % de marge aux producteurs, à due proportion de leur contribution à la production effective d’électricité, voici ce qu’aurait donné l’évolution du prix spot en 2021 :
Le coût marginal n’étant qu’une partie du coût de production total, quand tout va « bien », le prix de l’électricité du marché spot actuel doit théoriquement être inférieur à ce que serait ce même prix avec le nouveau mode de calcul proposé dans le paragraphe précédent. C’est ce que l’on peut observer sur le premier tiers de l’année 2021. Mais, à partir de juin, les choses se gâtent : le prix de la tonne de CO2 et du mètre cube de gaz augmentent simultanément. Alors qu’avec le nouveau mode de calcul, les prix spot seraient restés aux alentours de 70 €/MWh grâce à une électricité fortement nucléarisée, le marché spot réel a atteint des prix de plus de 600 €/MWh ! Au final, le prix de l’électricité sur toute l’année 2021 aurait été 37 % moins cher avec le nouveau prix spot : devinez où va la différence ? C’est aberrant.
Cependant, comme dans cette union, il est nécessaire de négocier avec des bureaucrates non élus ou des chefs d’États et de gouvernement d’autres pays pour changer ce qui semble être une grosse arnaque, il semble n’y avoir qu’une seule solution pour de nouveau garantir un prix de l’électricité stable, juste et représentatif des choix énergétiques de notre pays : reprendre le contrôle par le Frexit.
1. Ce prix n’est qu’une part du prix final facturé au consommateur, seulement associé aux coûts de production. En France, cela ne représente environ que 32 % du prix final.
2. En partie dû à ce mode de calcul qui ne garantit aucunement au producteur de couvrir l’intégralité de son coût de production sur toute la durée de fonctionnement de la centrale, à part si un tarif de rachat est garanti (comme pour les énergies éoliennes et photovoltaïques).
Maxime AMBLARD
Commission Énergie & Écologie