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Présidence française du Conseil de l’Union européenne : une « présidence » qui en prépare une autre
La PFUE : pour quoi faire ?
Il convient tout de suite de bien définir ce dont on parle. Il s’agit de la présidence du Conseil de l’Union européenne. Non, Emmanuel Macron n’est pas « président de l’Union européenne » pour six mois. Cette fonction n’existe pas. Le président français n’a en réalité qu’un rôle purement symbolique durant cette période. En effet, depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, en 2009, la présidence du Conseil européen est une fonction en soi [1], et n’est plus assurée par le chef de l’État qui assure la présidence du Conseil de l’Union européenne.
Également, c’est la France, en tant qu’État, et non pas Emmanuel Macron, qui a la présidence du Conseil de l’Union européenne [2]. Cette instance est l’un des organes « législatifs » de l’Union européenne. Pour résumer ses fonctions, il vote les directives et règlements sur proposition de la Commission européenne. Il existe un conseil par matière, où siège chacun des ministres de chaque État membre de l’UE concerné par ces matières. Par exemple, il y a un conseil des ministres des Transports, un autre des ministres de l’Éducation, un autre des Affaires étrangères. C’est la raison pour laquelle on parle souvent de « Conseil des ministres de l’Union européenne ». Il y a dix conseils selon différents domaine de compétence.
1. Le Conseil européen est composé de l’ensemble des chefs d’État ou de gouvernement des États membres. Il se réunit au moins deux fois par semestre. Il élit un président qui n’est pas l’un d’entre eux (actuellement il s’agit du Belge Charles Michel).
2. Et ce malgré le logo créé par les équipes de communication de La République en marche, lesquelles ont eu le bon goût de mettre un M retourné au lieu d’un vrai E pour associer de manière grossière le résident du palais de l’Élysée à cette présidence.
Il ne s’agit ni plus ni moins qu’une présidence de séance d’une réunion, rôle très administratif.
Par ailleurs, le traité de Lisbonne a créé le poste de haut représentant pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité de l’UE, dont la mission est de présider le Conseil des ministres des Affaires étrangères, de sorte que Jean-Yves Le Drian ne présidera pas celui-ci durant les six mois de la présidence française. À noter enfin que l’Eurogroupe ne fait pas partie de ce système de présidence tournante, puisqu’il s’agit d’un organe informel. Pour rappel, l’Eurogroupe est la réunion des ministres des Finances des États de la zone euro, et seulement ces États-là. Espérons que l’égo de notre cher Bruno Le Maire ne sera pas trop affecté par cette éclipse.
Dans chacun de ces conseils — à l’exception, donc du Conseil des ministres des Affaires étrangères —, au cours des six prochains mois, les ministres français présideront la séance. C’est-à-dire, pour être concret, qu’ils convoqueront les réunions, en prépareront les travaux, notamment celles des comités permanents, qu’ils veilleront au respect du règlement intérieur du Conseil de l’UE et au bon suivi de ses méthodes de travail. Il ne s’agit ni plus ni moins qu’une présidence de séance d’une réunion, rôle très administratif. Et pourtant, ce rôle fait déjà double emploi avec celui du Secrétariat général du Conseil de l’Union européenne. Cet organe permanent a exactement les mêmes attributions, à la différence significative qu’il dispose d’une équipe de fonctionnaires spécialisés pour cette mission. C’est donc en réalité celui-ci qui continuera d’assurer ces missions.
La présidence française ne pourra en aucun cas imposer ses vues aux autres États.
À quoi sert donc cette présidence ? Elle implique un rôle sur le plan politique. Il s’agit d’une fonction de médiation. Les ministres français seront des intermédiaires et auront pour mission de chercher des compromis entre les vingt-six autres ministres, afin qu’ils tombent d’accord sur telle ou telle mesure. Que l’on soit clair, il ne s’agit en aucun cas d’une fonction de direction. Il n’y a pas d’autres prérogatives particulières, ni de pouvoir contraignant sur un autre ministre ne partageant pas les vues de la présidence. La présidence française ne pourra donc en aucun cas imposer ses vues aux autres États. En revanche, l’État qui assure la présidence cumule cette qualité avec celle d’État membre, il peut donc voter deux voix au Conseil. Toutefois, dans une union à vingt-sept, cette faculté est à relativiser, les deux voix étant noyées au milieu des vingt-six autres. Elle pourrait permettre de bloquer un vote à la majorité simple dans l’hypothèse où douze autres États partageraient les vues françaises sur un sujet ou de donner un peu plus de poids dans une décision à la majorité qualifiée, mais, encore une fois, sur une assemblée de vingt-six personnes, la répercussion est minime. Enfin, le calendrier législatif européen reste maîtrisé par la Commission européenne, qui est, rappelons le, le seul organe à avoir l’initiative législative au sein de l’Union européenne. On comprend donc que le rôle de la PFUE est extrêmement limité, pour ne pas dire purement formel, protocolaire.
Par ailleurs, cette présidence fonctionne sous la forme d’un trio. En effet, depuis le traité de Lisbonne, et afin de créer une continuité dans la présidence, celle-ci doit se faire en collaboration de trois États, lesquels établissent un programme pour dix-huit mois au cours desquels chaque État se succédera à la présidence. La France ne fait ainsi pas « son programme », dans son coin, mais elle doit tomber d’accord avec ces deux autres États, ainsi qu’avec le haut représentant aux Affaires étrangères et à la Politique de sécurité. Dans la PFUE qui vient de débuter, la France est associée à la Suède et à la République tchèque, deux pays qui ne font pas partie de la zone euro et ne partagent pas ses vues sur différents sujets.
Les « priorités pour l’UE » sont-elles crédibles ?
Le 9 décembre dernier, l’Élysée a établi une liste de « priorités » pour ses six mois de présidence du Conseil de l’Union européenne. Ces priorités, quelles sont-elles ? Le site internet de l’Élysée en liste cinq.
1. Une Europe plus souveraine
Ce qui signifie une France moins souveraine. Une priorité qu’Emmanuel Macron n’a de cesse de poursuivre depuis sa funeste élection en 2017. Ce développement de la souveraineté européenne s’articule à une réforme de Schengen et à un renforcement du serpent de mer qu’est « l’Europe de la défense ».
Concernant Schengen, cet accord est prévu par les traités européens depuis le traité d’Amsterdam de 1997, sous la forme d’un protocole additionnel au TFUE, de sorte qu’il fait corps avec eux. Une modification profonde de ce qui est appelé « les acquis de Schengen » nécessiterait donc un nouveau traité, et donc l’unanimité des États sur la question. La présidence française du Conseil de l’Union européenne ne peut donc aucunement permettre la remise en question de Schengen.
Concernant l’Europe de la défense, de nouveau, cela ne relève pas de la PFUE. Seul le Conseil des ministres des Affaires étrangères, pour lequel la PFUE ne s’applique pas, est compétent. Par ailleurs, dans ces domaines, l’unanimité est également la règle. Or il est de notoriété publique que les pays d’Europe centrale et de l’Est considèrent que leur défense est assurée par l’OTAN, pour ne pas dire les États-Unis d’Amérique, et non pas par l’Union européenne. Ils ne veulent donc pas de l’Europe de la défense proposée par la France. Aucune avancée ne doit être attendue ici non plus.
En matière fiscale, c’est également la règle de l’unanimité qui s’applique.
2. Une Europe plus verte
La France poursuivra les engagements déjà actés auparavant, à savoir celui de la neutralité carbone en Europe à l’horizon de 2050. La PFUE n’a donc aucune incidence sur ce calendrier, de l’aveu même de l’Élysée.
3. Une Europe plus numérique
Il s’agit ici ni plus ni moins que de faire plier les GAFAM et de leur imposer des réglementations pour limiter leur emprise sur le marché des nouvelles technologies. Également, la présidence française se ferait fort de lutter contre la haine sur internet, soit en renforçant la responsabilité des plateformes hébergeant des contenus (Twitter, Facebook, YouTube, etc.), soit en renforçant la censure sur internet en se basant sur un concept non juridique et très vague : la « haine ».
Concernant les GAFAM, l’écueil est que cette question impose d’entrer en confrontation directe avec les États-Unis, qui défendront bec et ongles leurs champions du numérique. Or cela impliquerait pour l’Allemagne, grand exportateur vers les États-Unis, de risquer des rétorsions par le jeu de droits de douane. Il n’y aura donc certainement pas de consensus, et les pays vassaux des Américains, dont l’économie ou la défense dépend de ces derniers, ne se risqueront pas à ce rapport de force auquel ils ont trop à perdre, et très peu à gagner. Rappelons qu’en matière fiscale, c’est également la règle de l’unanimité qui s’applique. On voit mal comment en six mois, la présidence française, qui ne dispose d’aucun pouvoir de contrainte, va réussir à débloquer un dossier ouvert depuis plusieurs années et imposer à d’autres États de jouer contre leurs intérêts. Ce sont ici encore des vœux pieux, du verbiage et de l’inconséquence.
Une directive sur les salaires minimum ne pourra être votée qu’avec l’accord de la Hongrie et de la Bulgarie.
4. Une Europe plus sociale
La mesure phare que souhaite promouvoir la France est celle d’une directive européenne sur les salaires minimum. Rappelons que l’émission de directives et de règlements est l’apanage de la seule Commission européenne. Rappelons aussi qu’en matière de sécurité et de protection sociale, les décisions sont prises par le Conseil de l’Union européenne à l’unanimité. Autrement dit, une directive sur les salaires minimum ne pourra être votée qu’avec l’accord de la Hongrie (dont le SMIC est 3,6 fois plus faible que le SMIC français) et de la Bulgarie (dont le SMIC est 5,7 fois plus faible que le SMIC français). Cette différence énorme entre les économies de ces pays et ceux d’Europe occidentale est précisément l’un des moteurs de leur développement économique. Comme pour le point précédent, ils ne céderont pas pour les beaux yeux d’Emmanuel Macron, la PFUE ou non.
5. Une Europe plus humaine
Slogan de pure communication s’il en est, cette admonestation a pour objectif de travailler sur « l’histoire de l’Europe », autrement dit de poursuivre la rédaction d’un roman national européen afin de légitimer l’existence de l’Union européenne, mais aussi de lutter contre les « crimes et discours de haine » au niveau européen, et enfin de créer un service civique pour les jeunes européens, traduisons, une sorte de « jeunesses européistes » afin d’asseoir la propagande auprès des futures générations.
Il est effectivement possible pour le gouvernement français et l’Élysée d’œuvrer à renforcer la propagande en faveur du projet européen, notamment grâce à l’écho médiatique que confère cette présidence du Conseil de l’Union européenne. Néanmoins, ces mesures, aussi insupportables soient-elles, relèvent davantage du symbolique et ne bouleverseront pas le quotidien des Français.
Un heureux hasard du calendrier pour Macron
La PFUE porte sur la période du 1er janvier au 30 juin 2022. Or en avril prochain se tiendra l’élection la plus importante de la vie politique française, à savoir l’élection présidentielle. La PFUE est donc concomitante de cette « élection locale » (selon le mot du grand démocrate et grand patriote Christophe Castaner).
Une aubaine pour le chef de l’État, actuellement candidat à sa réélection. En effet, si son rôle est extrêmement réduit en pratique, le chef de l’État ne manquera pas de parader aux différentes conférences et rencontres qui seront organisées dans le cadre de la PFUE. Près de 400 événements sont ainsi prévus à travers le territoire national et celui des autres États membres de l’UE. Le but affiché par le gouvernement, est « d’assurer le rayonnement de la présidence française auprès des citoyens », par l’entremise d’« événements [qui] se dérouleront sur l’ensemble du territoire national et à l’étranger ». Autrement dit, il s’agit d’une campagne de promotion de la personne du président ainsi que de « l’idée de construction européenne ». De grands discours seront à nouveau prononcés, des beaux engagements seront pris, et une amorce pour un programme des cinq années à venir sera ainsi présentée. In fine, rien ne se passera, et l’Union européenne ne sera pas bouleversée par cet éphémère numéro de claquettes.
Ce n’est qu’une instrumentalisation de l’Union européenne par Macron à des fins de propagande personnelle.
Emmanuel Macron espère en somme redorer sa stature internationale, sévèrement écornée à la suite des multiples revers qu’il a subis durant son mandat, le dernier en date étant celui du contrat des sous-marins avec l’Australie. L’image du jeune président humilié par son homologue américain demeure encore dans les mémoires, et l’Élysée souhaite certainement effacer ce souvenir. Également, le président candidat souhaite apparaître comme le champion des « euroconvaincus », afin qu’ils ne cherchent pas une autre figure à lui substituer. Fédérer cette base est essentielle, notamment dans l’hypothèse d’un second tour face à Valérie Pécresse, autre européiste notoire.
Il s’agit donc, ni plus ni moins, d’une instrumentalisation à des fins de propagande personnelle. Les européistes sincères apprécieront au passage le cynisme et le peu de déférence d’Emmanuel Macron envers leurs institutions.
Pour résumer, ces discours sonnent creux tant l’influence réelle de la PFUE est dans les faits extrêmement limitée. Il ne s’agit que d’une bulle communicationnelle dans laquelle s’est enfermé le président de la République. Espérons que les différents médias et surtout les Français ne seront pas dupes. Si nous souhaitons réellement changer les choses au quotidien, que nous voulons améliorer la vie de nos concitoyens, nous n’avons pas d’autre choix que de reprendre le contrôle, et cela passe pas notre libération de cette mascarade qu’est l’Union européenne.
Anthony VÉRA-DOBRÕES
Commission Droit et Institutions