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Restitution des œuvres d’art : une voie universelle est possible
CES ŒUVRES, dont certaines étaient exposées au musée du Quai-Branly–Jacques-Chirac, furent acquises durant la période coloniale parfois dans des conditions qualifiées par les uns de pillage, par d’autres d’application du droit de la guerre en vigueur à cette époque, et parfois acquises bien plus pacifiquement dans le cadre de recherches ethnologiques. Rappelons que les prises de guerre ne furent déclarées illégales qu’après les conventions de La Haye de 1899 et 1907.
Ce vote des députés français fait suite à un engagement pris en novembre 2017 à Ouagadougou par Emmanuel Macron.
Il est tout à fait légitime que des pays ayant recouvré leur indépendance il y a maintenant soixante ans veuillent développer une mémoire nationale et s’attachent à pouvoir admirer leur patrimoine sans devoir voyager et visiter les musées de Paris ou de Londres.
Il semble tout aussi légitime de défendre l’inaliénabilité des collections muséales françaises devant des revendications s’appuyant sur l’histoire. En effet, une très large partie des œuvres exposées au Louvre proviennent d’acquisitions plus ou moins forcées lors des guerres napoléoniennes et rassemblées sous l’égide de Vivant Denon pour constituer le plus grand musée du monde. Une remise en question de ce principe d’inaliénabilité ouvrirait une boîte de Pandore dont il serait difficile d’estimer les conséquences.
Rappelons d’ailleurs que la corédactrice du rapport qui fut à l’origine de la « loi de restitution » — avec Felwine Sarr, dont nous parlerons plus loin —, Bénédicte Savoy, est historienne de l’art à l’université technique de Berlin et a beaucoup travaillé sur les spoliations napoléoniennes en Allemagne, qu’elle qualifie de « trauma national » allemand.
Les musées africains sont victimes de pillages
Par ailleurs, et c’est cela le plus grave, on peut aussi émettre de légitimes interrogations sur le devenir des œuvres qui vont donc être restituées. En effet, le musée d’Abomey au Bénin a subi de nombreux vols et, selon l’artiste béninois Romuald Hazoumé, les conditions optimales de conservation des œuvres seraient loin d’être réunies.
De même, le splendide musée IFAN de Dakar, créé à l’initiative de Théodore Monod en 1936, fut victime de nombreuses disparitions d’œuvres majeures.
Le phénomène est malheureusement assez répandu dans toute l’Afrique en raison de la multiplication des collectionneurs d’art africain privés prêts à payer des sommes importantes pour des pièces majeures. Le magazine Africultures s’en plaignait déjà il y a treize ans et la situation ne s’est malheureusement pas améliorée : les événements de 2011 en Côte d’Ivoire furent l’occasion pour certains bandits de faire main basse sur des œuvres du musée d’Abidjan.
Les 15 millions de dollars débloqués par l’Open Society — fameuse ONG financée par George Soros — en faveur de la restitution des œuvres d’art africain seraient mieux utilisés à renforcer la sécurité des musées africains, victimes des pillages actuels, qu’à créer une agence chargée de lister les pillages du XIXe siècle.
C’est une problématique passionnelle et souvent entachée de biais idéologiques.
On peut toutefois craindre que ces fonds ne soient davantage destinés à accroître les polémiques actuelles et à développer le ressentiment de la jeunesse africaine envers les anciens pays colonisateurs qu’à développer auprès d’elle l’amour de l’art, fût-il africain.
C’est dans cette optique conflictuelle que doivent s’entendre les déclarations du second corédacteur du rapport, Felwine Sarr, désigné par Emmanuel Macron. Dans une récente interview au Monde, cet économiste sénégalais (et non historien de l’art), enseignant à l’université Duke en Caroline du Nord, annonce tranquillement la venue d’un « âge d’intranquillité » pour les musées français…
Des activistes, comme ceux de la Ligue de défense noire africaine, organisent d’ailleurs déjà des actions « coups de poing » dans certains musées pour s’emparer symboliquement d’œuvres qu’ils prétendent appartenir « à l’Afrique », même lorsque celles-ci sont en réalité… indonésiennes. Il est vrai que ces militants ne brillent pas par leur connaissance de l’histoire de cet art africain dont ils se revendiquent pourtant les défenseurs.
En bref, cette problématique est donc passionnelle et souvent entachée de biais idéologiques qu’il faut absolument éviter, dans l’intérêt même du patrimoine artistique.
De grandes voix se sont fait entendre, celles de Julien Volper (historien de l’art), de Didier Rykner (directeur de la Tribune de l’art), de Yves-Bernard Debie (avocat spécialisé dans le commerce d’art) pour dénoncer les conditions dans lesquelles cette « loi de restitution » a été votée.
Une troisième voie : le dépôt sous l’égide de l’UNESCO
Toutefois, il nous faut désormais sortir par le haut de cette alternative artificielle, créée bien plus dans les universités américaines et allemandes qu’en réponse à une demande réelle des peuples africains.
Il n’y a pas de dichotomie absolue entre la conservation de ces œuvres dans les anciens pays colonisateurs, suspects de vouloir conserver leur butin, et la restitution pleine et entière de celles-ci à leurs pays d’origine, lesquels ne sont pas toujours en capacité de leur accorder une sûreté maximale.
Oui, une partie des œuvres africaines détenues dans les musées européens doit pouvoir revenir en Afrique, pour de multiples raisons que chacun peut comprendre.
Non, ces œuvres ne devraient pas être « restituées » mais confiées en dépôt sous l’égide de l’UNESCO.
Comme l’explique fort bien Julien Lacaze dans un article de Sites et Monuments, la France bénéficie elle-même de dépôts à long terme, essentiellement des meubles et des bijoux royaux qui ont été vendus pendant la Révolution à des acheteurs anglo-saxons, puis acquis par des musées américains.
L’UNESCO pourrait aussi, à la demande conjointe de la France et des pays africains concernés, lancer un programme de réhabilitation et de sécurisation des musées africains. Ce financement d’une institution internationale sera, sans nul doute possible, préférable à celui de fondations dont les buts idéologiques sont avoués.
Le caractère international de l’UNESCO permettra aussi de rappeler aux visiteurs admirant ces œuvres que l’art est avant tout universel et ne doit, en aucun cas, être le vecteur de la résurgence de querelles passées que certains s’évertuent pourtant à raviver.
Philippe CONTE