Retour de Lula au Brésil : rupture, ou continuité ?

Lula a pris ses fonctions de président du Brésil le 1er janvier, dans une ambiance à la fois festive et tendue. Que faut-il attendre de son retour au pouvoir, au Brésil aussi bien que dans les relations de ce pays avec le reste du monde ? Une analyse de Philippe Lacour, membre de Génération Frexit résident au Brésil.

LUIZ INÀCIO DA SILVA a été élu à la présidence de la république du Brésil en octobre dernier, avec une courte avance sur son rival d’extrême droite, Jair Bolsonaro. Sa prise de fonctions dimanche 1er janvier, s’est déroulée dans une ambiance à la fois festive et tendue : si des centaines de milliers de ses partisans sont venus dans la capitale brésilienne pour manifester leur soulagement et leur espoir, de nombreux incidents (dont un attentat récemment déjoué) sont venus rappeler, depuis l’élection, le profond clivage de la société, que la coupe du monde de football n’a atténué que provisoirement.

Le responsable travailliste est à la tête d’une coalition très large, et associé à un vice-président de la droite traditionnelle — un peu comme si Jean-Luc Mélenchon en France faisait alliance avec François Fillon. Il devrait appliquer un programme de centre-droit, si tout au moins la chambre haute du Parlement, où dominent les sénateurs d’obédience bolsonariste, lui laisse suffisamment de marge de manœuvre. Aucune mesure révolutionnaire n’est donc prévue, mais tout au plus un retour au fonctionnement normal des institutions démocratiques — ce qui est en soi fondamental, tant la dérive autoritaire du régime s’est accusée depuis la destitution (injustifiée) de Dilma Rousseff en 2016, et a tourné au culte de la personnalité sous Jair Bolsonaro.

Il a demandé à José Múcio, un vétéran de la classe politique, de rétablir en douceur la domination de l’État sur les militaires.

Outre la nomination de certains représentants des minorités du pays (raciales ou sociales), Lula a aussitôt appelé des hommes de confiance aux ministères régaliens. Au ministère de la Défense, il a demandé à José Múcio, un civil, vétéran de la classe politique, conservateur au talent de conciliateur, de rétablir en douceur la domination de l’État sur les militaires. Le ministère de l’Économie et des Finances a été confié au fidèle Fernando Haddad, ancien maire de Sao Paulo et ancien ministre de l’Éducation (aussi candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2018).

L’ancien gouverneur de l’État de Bahia, Rui Costa, se voit confier le secrétariat de la Présidence (ministre de la « Casa Civil »), au rôle transversal particulièrement important pour la coordination des différentes politiques publiques. Le diplomate Mauro Vieira, ancien ambassadeur, aura la responsabilité de diriger le ministère des Affaires extérieures (« le palais d’Itamaraty »), comme il l’avait déjà fait au début du second mandat de Dilma Rousseff. Enfin, l’ancien gouverneur de l’État du Maranhao et juge fédéral, Flavio Dino, du parti de centre-gauche PSB, prendra les rênes du ministère de la Justice.

Les grandes entreprises récemment privatisées (électricité, routes, poste), seront sans doute en partie renationalisées.

Chacun de ces ministères aura un rôle clé dans la future politique du troisième gouvernement Lula. Au niveau économique, la priorité sera, comme son premier mandat, de lutter contre la faim et la pauvreté en poursuivant la maîtrise de l’inflation et en augmentant le salaire minimum, tout en maintenant l’aide sociale (la « bolsa familia »), distribuée aux mères de familles modestes sous condition de scolarisation de leurs enfants. Mais ce qui était à l’époque financé par des excédents budgétaires risque cette fois de l’être par des déficits, assumés au moins à titre temporaire. Aussi bien s’agit-il de stimuler l’investissement des banques publiques pour soutenir la recherche, l’innovation et l’industrie, afin de diversifier l’économie et de sortir du rôle de simple fournisseur de matières premières — la préservation de l’environnement passera par l’arrêt du déboisement des biotopes menacés (Amazonie, savane), la recherche de gain de productivité sur de plus petites parcelles, voire le reboisement.

Enfin, les grandes entreprises récemment privatisées (électricité, routes, poste), seront sans doute en partie renationalisées, notamment pour récupérer les profits de l’exploitation du pétrole offshore et les affecter en partie aux secteurs de l’éducation et de la santé, comme le prévoyait le second gouvernement de Dilma Rousseff. Le ministre de la Défense devra s’assurer du soutien de l’armée et permettre le difficile rétablissement de la concorde dans un pays profondément divisé, où les achats d’armes sont en forte hausse. Enfin, le ministère de la Justice aura peut-être à mener des investigations contre l’ancien président et sa famille, qui sont accusés de détournement d’argent public à grande échelle, entre autres délits.

Lula demande depuis longtemps une réforme des institutions internationales issues de la Seconde Guerre mondiale, considérées comme injustes.

Quelle sera la politique extérieure conduite ? Lula est un membre fondateur des BRICS et un ardent partisan de l’intégration régionale (Union sud-américaine, Communauté d’États latino-américains et caraïbes) et des relations avec l’Afrique (forum Afrique-Amérique latine) : il pourrait donc, par son charisme et son indéniable audience internationale, jouer un rôle d’entraînement non négligeable au sein de ces différentes institutions, notamment en favorisant l’entrée de nouveaux pays au sein des BRICS. Aussi bien demande-t-il depuis longtemps une réforme des institutions internationales issues de la Seconde Guerre mondiale, considérées comme injustes à l’heure d’une mondialisation brutale, qui a notamment provoqué la désindustrialisation du pays.

Le contexte régional, dans lequel une majorité de pays d’Amérique latine ont à nouveau basculé à gauche (Mexique, Colombie, Chili, Argentine, sans même parler du Venezuela ou de Cuba), pourrait lui être favorable. Et il devrait être tout aussi actif dans ses voyages à l’étranger que lors de ses mandats précédents, afin de favoriser les coopérations bilatérales, en dépit du nouvel affrontement entre le bloc occidental et celui formé par la Chine et la Russie.

Lula voudra sans doute relancer les accords commerciaux, et tout particulièrement finaliser l’accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur.

Tournera-t-il pour autant le dos aux États-Unis et à leurs alliés d’Europe ? En fait, même si la Chine est désormais le premier partenaire commercial du Brésil, les États-Unis restent un important pays d’exportation, et les relations entre les deux blocs sont susceptibles de conserver un certain équilibre. Concernant les relations avec l’Union européenne, Lula voudra sans doute relancer les accords commerciaux, et tout particulièrement finaliser l’accord de libre-échange entre celle-ci et le Mercosur (Argentine, Paraguay, Uruguay, Brésil), qui doit encore être signé (voire modifié) par les gouvernements européens, sans que l’on sache exactement comment il compte à la fois ménager les intérêts du puissant agronégoce brésilien (soja, viande) et la promotion de l’agriculture familiale.

Enfin, en ce qui concerne la France, voisin direct du Brésil par la Guyane, en Amazonie, tandis que les relations ont été au plus bas pendant la présidence de Bolsonaro, il est probable que la coopération se renforce sous Lula, notamment touchant les volets des transports, de la sécurité (immigration, drogue, aspects militaires) et de l’environnement (lutte contre l’orpaillage, reforestation), dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat.

Philippe LACOUR
Membre suppléant du Bureau exécutif de Génération Frexit

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